vendredi 14 septembre 2012

Episode trois : l'anomalie.

Léon remarqua tout de suite la prisonnière aux cheveux bicolores. Il n'avait aucun mérite : son feuillet optique clignotait en jaune, ce qui signifiait que la détenue méritait une attention particulière. Il posa les autres feuillets sur la table, pour mieux étudier le dossier à son aise. Sous les yeux du chef maton, le casier de l'inconnue défila en petits caractères.

Elle s'appelait Daisy T. Hallorahn. Vingt-cinq ans. Sur la photo accompagnant le dossier, elle affichait une expression parfaitement neutre, son visage quelconque aux yeux gris noyé dans une masse ébouriffée de cheveux blancs et noirs, divisée par une raie qu'elle portait à droite. Condamnée à quelques mois pour vol dans une prison standard, la peine s'était alourdie suite à de multiples voies de fait envers certains prisonniers. Lorsque la prisonnière s'en était prise à un maton, on l'avait transférée ici. Daisy purgeait désormais une peine de dix ans de prison. 

Léon fronça les sourcils. Ce n'était pas commun. Une petite voleuse qui devient la terreur de la prison de son monde natal  au point d'être transférée sur un trou comme White Hell ?
L'interlink sonna. 

« Oui Yann... dit Léon, activant la communication. Qu'est-ce qui se passe ? »

Yann était son second, le plus compétent après lui dans cette prison. Sur White Hell, il n'y avait pas de petits génies. Yann savait compter, lire, et réfléchir, si on lui en laissait l'occasion. Ce n'était pas indispensable, mais cela lui valait d'être le responsable de l'intendance.

« Léon... Y a un problème avec une des nouvelles. Celle aux cheveux blancs et noirs, la fiche jaune... » L'intendant parlait d'une voix traînante qui évoquait les réveils brusques et les nuits courtes. Après quelques mois, la narcolepsie était un mal qui frappait plus de la moitié du personnel pénitentiaire sur White Hell. Le manque d'action, d'exercice, de soleil, le confinement, ainsi que la malbouffe transformaient le plus énergique des hommes en un mollusque invertébré rivé à son siège de contrôle.

« Je t'écoute, Yann, reprit Léon. J'étais sur son dossier justement. Qu'est-ce qu'elle fabrique, la nouvelle ?
— Rien qui ne justifie une sanction, mais c'est bizarre tout de même.
— Et bien ?
— Elle fait du sport...
— Ah ouais ? Fais voir... »

L'écran intégré au bureau de Léon s'illumina, affichant une image en haute définition. La caméra collée au plafond surveillait le moindre mètre carré de la cellule. L'intimité des prisonniers était un concept très relatif sur White Hell.

Léon reconnut Daisy sans problème. Ses cheveux avaient subi une coupe carcérale, mais ils étaient toujours bicolores, ce qui indiquait que la jeune femme avait subi une altération plastique génétique, plutôt qu'une simple teinture.

La prisonnière s'activait dans son petit box, multipliant les pompes, les abdominaux, et autres exercices barbares que peu de gens s'astreignaient à suivre sur les mondes civilisés. Léon zooma sur le visage luisant de sueur, puis demanda à Yann :

« Elle a eu sa dose de cocktail zéro?
— Ouais, évidemment. Elle a peut-être développé une accoutumance dans son ancienne tôle ?
— J'ai rien vu dans son dossier médical qui parle d'une tolérance ou d'une accoutumance aux neutralisants.
— C'est bizarre, non ? »

Bien sûr, cela l'était. Tous les prisonniers, sans exception, étaient camés jusqu'à la moelle. Chaque jour, leur nourriture était assaisonnée aux tranquillisants et aux anxiolytiques. Dans la majeure partie des cas, leur agressivité était alors ramenée à zéro, ce qui justifiait le nom de ce mélange : le cocktail zéro. Cette mesure, peu appréciée du grand public, était la norme sur les mondes pénitentiaires tels que White Hell. La prison où travaillait Léon comptait un peu moins de cinquante matons pour plus de huit mille prisonniers. Même si des robots prenaient en charge la plus grande partie de la maintenance et de la surveillance des lieux, il importait de transformer la population carcérale en troupeau de moutons dociles et incapables de se rebeller.

Avec le cocktail zéro, les prisonniers ne faisaient que deux choses de leur journées : Ils dormaient et tournaient en rond, dans leur cellule ou dans la zone de promenade, apathiques. Tueurs, violeurs, et autres terroristes réduits à une bande de marshmallows dénués de la moindre velléité de fuite ou de rébellion. Une prison potagère emplie de légumes : l'image faisait sourire Léon. Tout était sous contrôle, comme disait la chanson. 

Léon zooma sur la poitrine de la jeune femme, puis glissa le long de son estomac, de ses jambes. Un joli morceau. Le sport la maintenait en forme, elle n'avait pas un poil de graisse. Il lui arrivait de temps en temps de reluquer ses prisonnières dans l'intimité de leurs cellules, à des fins peu avouables. Bien sûr, ce comportement sordide l'avait déjà mis dans la merde, c'était d'ailleurs ce qui l'avait amené tout droit sur White Hell. Léon s'en foutait. Il n'attendait plus rien de bon de ce job, il profitait donc de la moindre opportunité pour satisfaire ses pulsions voyeuristes, à l'abri dans son bureau.

« Qu'est-ce qu'on fait ? » demanda Yann d'une voix ensommeillée.

« Laisse tomber, lâcha Léon. Elle vient d'une prison civile, leurs médocs ne sont peut-être pas aussi puissants que les nôtres. Dans quelques jours elle fera comme tous les autres... Elle pioncera. »

mardi 11 septembre 2012

Des homos et des hommes.

Oui, vous en avez certainement entendu parler : bientôt peut-être, en France, les couples homosexuels pourront se marier et prétendre à l'adoption (ce qui, dans les faits, est souvent une véritable galère pour les hétéros aussi).

A la Shangrymania, on n'a rien contre les homosexuels, les gays, les lesbiennes. Bon, moi, je ne craque que sur les femmes, de préférence brunes, petites et intelligentes (sans me limiter à ces critères...). Mais c'est chacun ses goûts !

Malheureusement, à en juger par les réactions de la blogosphère, tout le monde n'est pas aussi "gay friendly" qu'on le prétend. Je me suis amusé à relever certaines réactions effarouchées de la société bien-pensante.

Alors tout d'abord, on a "l'antique". Le gars bien droit dans ses bottes, élevé dans la tradition. Produit pur terroir français, fier de l'être, qui clame que l'homosexualité est une perversion, et que le PACS est une absurdité. Peu soucieux d'observer l'évolution de la société, il décrète que le monde qui l'entoure doit rester figé et inaliénable. Inutile d'espérer le convaincre du bon droit de cette démarche : il est auto-convaincu. Il est son meilleur porte-parole, sa meilleure référence. Inébranlable, sauf par sa femme.

On a les intellos de gauche, ceux qui blâment le gouvernement de se consacrer à quelque chose qui n'est pas important, afin de masquer la crise. Moi, j'avoue que quand j'ai appris que les gays allaient pouvoir se marier, ça m'a fait plaisir pour eux, mais ça ne m'a pas fait oublier le reste. Je pense que le français moyen sait faire le distingo.

D'autre part, les gars, il serait tout de même temps de vous réveiller, l'existence d'un milieu homosexuel en France est plus ou moins reconnue depuis une quarantaine d'années... Hibernatus, c'est la salle à côté, merci. Ok, le problème n'est pas urgent pour la majorité hétérosexuelle... Mais pour un couple homosexuel, c'est peut-être enfin la lumière au bout du tunnel. On n'avait rien eu de neuf de ce côté depuis le pacs. Cela date un peu...

Viennent ensuite les offusqués, qui voient en cette légalisation du statut homosexuel une menace pour les hétéros. Ben oui, c'est clair, demain, on sera tous forcés d'avoir goûté aux deux bords pour faire notre choix. Non, vous n'avez pas de raison d'avoir peur, les hétéros se portent bien et la communauté homosexuelle ne vous raflera pas de part de marché. Ces gens-là ne demandent qu'à légaliser leur bonheur. On relâche tous les jours dans la société des violeurs d'enfants, on laisse partir les jeunes qui ont tabassé un pauvre type à mort pour un regard de travers. Franchement, pour une fois que la loi peut être constructive et aller dans le sens de la société et de la liberté personnelle, je dis pas non.

Ensuite on a les parents inquiets, qui ne considèrent pas "normal" qu'un enfant vive au milieu de deux parents de même sexe... "mais vous vous rendez compte, le pauvre, quand il va grandir et se rendre compte d'où il vient..." A ces gens-là, je répondrais que et d'une : Ayant grandi à l'Addass, je vous garantis que si un gosse est aimé par ses parents, il se foutra de leurs préférences sexuelles. La jeunesse possède la souplesse d'esprit qui manque souvent aux vieilles branches que vous êtes.

Ensuite, ce genre de raisonnement revient à dire que l'homosexualité est une perversion dont l'enfant devrait avoir honte. L'homosexualité, on ne la choisit pas, elle est ou elle n'est pas. Comme la connerie, mais celle-là, on peut y remédier. Moi je préfère un enfant heureux dans une famille homosexuelle qu'une jeune fille dans une famille "bien sous tout rapport" qui doit endurer dans le silence un père qui se glisse dans son lit le soir parce que le pauvre, vous comprenez, il ne désire plus sa femme mais il a des besoins "d'homme" (je hais cette expression, elle place le besoin d'amour et d'affection dans le même panier que le besoin de chier ou de péter. Cela pue pareil en fait).

Je ne suis pas, et ne serai jamais homosexuel. Je n'ai aucun regret, les femmes sont merveilleuses quand elles se laissent aimer. Mais je ne jetterai jamais la pierre à quelqu'un dont la sexualité sort des sentiers battus de la bienpensantitude. Je le répète, tous les goûts sont dans la nature.

Réjouissons-nous que, pour une fois, une loi octroie quelques libertés supplémentaires à des personnes qui ont le droit d'être heureuses autant que n'importe qui.

PS : Je n'ai pas parlé des opinions religieuses. Je n'en parlerai pas. D'une part, si Dieu n'aimait pas les homosexuels, il ne les aurait pas créés. D'autre part, s'ils sont une épreuve envoyée au croyant, ne serait-il pas plus humain de les aimer comme des hommes ? L'amour est sans doute la seule chose humaine en ce monde. Réfléchissez.  
  

dimanche 9 septembre 2012

Episode 2 ; Léon Manuel.

Léon Manuel était né sur une petite planète agraire. Rien ne le prédestinait à quitter son monde natal : un patchwork de champs céréaliers, de vergers et de vignes, réchauffé par le rayonnement d'une étoile proche. Dans ce nouvel Eden, on naissait fermier, on se mariait avec une fermière, et on mourait fermier. Une fois mort, on n'était ni enterré, ni incinéré. Le corps du défunt était recyclé, et finissait découpé au laser, réduit à l'état de minuscules cubes d'engrais naturel dans une cuve de décantation, en attendant d'être répandu sur les terres fertiles au sein d'une bonne couche de terreau. 

C'est ce détail qui avait décidé Léon à forcer son destin. Durant l'adolescence, il renâclait à la tâche et avait tenté de s'enfuir à plusieurs reprises, pour se retrouver à la case départ, sous la férule d'une mère aimante et d'un père peu enclin à la mansuétude. Chacun de ces écarts de conduite était sanctionné à coups de badine sur la partie la plus charnue de son anatomie. 

Léon voulait fuir, mais la vie sur ces mondes agraires était bien réglée. A l'âge de seize ans, il était parvenu à fuguer jusqu'à l'astroport le plus proche. Il avait accosté quelques équipages, et tenté de se faire embaucher en tant que cuistot. Mauvais calcul : après avoir exigé de lui toutes ses économies pour « payer son voyage », le capitaine d'un petit cargo avait simplement contacté les autorités locales. Léon avait été reconduit chez lui manu militari. Les coups de badine de son père et la soupe chaude de sa mère l'y attendaient.

A 22 ans, Léon avait quasiment renoncé à quitter son monde natal. Sans argent, sans navire, et sans support externe, il était impossible de quitter cette planète. C'est alors que la rumeur d'une campagne de recrutement pour les forces spatiales était parvenue jusqu'à lui. Une nouvelle fois, Léon avait quitté le domicile pour rejoindre le poste de recrutement temporaire le plus proche.

Quelques examens physiques avaient suffi à le certifier apte au service inactif. Il avait validé divers documents, autorisant l'utilisation de sa signature adn et de son corps physique pendant cinq ans. Puis on l'avait « déconnecté » : on avait installé dans sa boîte crânienne un implant court-circuitant sa conscience, ses schémas de pensée, et sa mémoire. En bref, on avait fait de lui un robot humain, tout juste bon à obéir aux ordres. Une fois ce service inactif terminé, Léon pourrait être déposé sur le monde de son choix, avec ses cinq années de solde sur un compte bancaire interstellaire. Un nouveau départ. Le jeune fermier ne demandait pas plus.

A l'issue de ces cinq années dont il ne conservait aucun souvenir, il avait ouvert les yeux dans la salle de réveil d'un hôpital militaire. Un capitaine borgne l'avait informé que la durée de son service inactif était terminée. On lui avait proposé de poursuivre sa carrière militaire en tant que soldat de première classe. La solde était meilleure, il aurait quelques déconnectés sous ses ordres et surtout, il conserverait son libre arbitre.

Léon avait décliné cette offre. Le service inactif n'était pour lui qu'un moyen de quitter son monde d'origine, pas une vocation. Il avait reçu son numéro de compte bancaire et un billet de transport en seconde classe pour Brittania, l'un des pôles commerciaux de l'empire.

Léon ne savait pas ce qu'il avait fait durant ces cinq années. Il en gardait quelques cicatrices, il aimait donc à penser qu'il avait combattu. Son corps était celui d'un athlète de haut niveau, même s'il ne se rappelait pas de l'entraînement suivi. Il avait eu de la chance. Certains sortaient du service inactif avec un membre en moins et une pension à vie. 

Une fois arrivé sur Brittania, Léon comprit que refaire sa vie ne serait pas une sinécure. Pour travailler sur ce monde urbanisé, il fallait de solides études ou de bonnes relations. Léon manquait des deux. Il tenta cependant de monter une affaire, une boutique de fruits et légumes frais, qui engloutit la quasi-totalité de sa solde de soldat.

Léon dut se rendre à l'évidence. Il n'avait pas été un bon fermier, et il ne serait jamais un bon marchand. Ce constat se vit officialisé, quelques mois plus tard, lorsque les représentants de la chambre de commerce galactique débarquèrent dans son échoppe pour statuer sur sa situation financière préoccupante. Léon dut fermer boutique.

L'ex-soldat finit par dégotter un poste de surveillant dans un établissement pénitentiaire de basse sécurité. C'était mal payé, peu intéressant, mais le boulot ne demandait pas de prérequis. Il rencontra une matonne ni très belle, ni très exigeante, et ils s'installèrent dans un petit appartement.

Léon demeurait insatisfait. Ce boulot ne lui plaisait guère. Il supportait de moins en moins la présence de sa compagne, qui de son côté virait à l'acariâtre obèse. 

Alors, il prit de nouveau la fuite. Il accepta un boulot de surveillant dans une prison de haute sécurité, et déménagea sur Fortenza, un monde semi-civilisé où la loi du talion primait. Sur Fortenza, Léon se sentit enfin chez lui. On ne lui demandait pas d'être performant, on ne se souciait ni de son passé, ni de son avenir. Avec son salaire, Léon pouvait boire, se payer des prostituées et en fin de compte, il n'avait pas besoin de grand-chose d'autre.

Cette situation dura quelques années. Léon avait trente-deux ans lorsqu'Anne Hilidus fut transférée dans sa prison.

Hilidus avait buté son mari, sa maîtresse et les enfants de cette dernière. Le crime passionnel n'avait pas été reconnu. Elle avait pris perpète. Le maton fut rapidement sous le charme de cette plante vénéneuse. Après plusieurs mois d'une relation secrète et interdite, Léon fut surpris le pantalon baissé, Anne à ses genoux dans la lingerie du pénitencier, par la secrétaire du directeur de l'établissement. Dans un holoporno, la situation aurait agréablement dégénéré. La réalité fut différente.

Léon aurait du se faire virer, mais l'administration pénitentiaire lui réservait un destin bien pire. Il fut muté sur White hell, une prison de troisième zone. Les prisonniers étaient shootés jusqu'à la moelle, les rares matons étaient des cas désespérés, perdus pour l'humanité, avec un QI d'huître hydrocéphale. Ironie du destin ou vaste blague karmique, ce détail valut à Léon le poste de maton en chef, lui qui n'avait fait qu'éviter les responsabilités depuis son enfance.

Sur White Hell, les opportunités étaient inexistantes. Les geôliers étaient autant des prisonniers que ceux qu'ils étaient censés surveiller. White Hell était un trou où venaient aussi se briser les carrières, une oubliette administrative. 

Oui, vraiment, la vie était une salope, songeait Léon en examinant les feuillets optiques des nouveaux détenus incorporés dans son secteur.