mardi 18 septembre 2012

Postwar Episode 4 : l'examen.

« Placez votre bras dans le manchon.... » ordonna le toubib en désignant une gaine d'examen. Daisy Hallorahn, la prisonnière qui avait tant intrigué Leon et son collègue, glissa son avant-bras dénudé dans un dispositif d'examen médical. Elle sentit une horde de palpeurs et de minuscules aiguilles se plaquer contre sa chair. La machine ronfla légèrement, aspirant tout à la fois du sang, des échantillons de sueur, de poil et de peau.

« Vous pouvez retirer votre bras... » fit le toubib après quelques secondes. Daisy s’exécuta. Aussitôt, l'un des deux matons posté derrière elle lui passa les menottes. Elle ne protesta pas.

Léon, assis dans un siège en face de la jeune femme, la contemplait en silence. Il tenait dans sa main le feuillet optique de la prisonnière. Le médecin du pénitencier se pencha sur l'interface du manchon médical, analysant les données transmises par la machine.  L'infirmerie du pénitencier était sommairement équipée, et le multiscan n'était plus de prime jeunesse.

« Tu ne me demandes pas pourquoi nous t'avons amenée ici ? » s'étonna Léon après quelques instants. La prisonnière leva sur lui ses yeux gris et répondit :

« C'est vous le patron. Et moi la prisonnière. Vous ordonnez, j'obéis. »

Aucune ironie dans le ton. Léon acquiesça. 

« Une bonne réponse, ça... Pourtant, d'après ton dossier, tu t'en es prise à un maton dans ton ancien centre de détention. Tu as quelque chose à me dire à ce sujet ? »

Daisy s'adossa à son siège avant de lâcher :

« Ce type était une ordure. Il méritait son sort.
— Pourquoi tu dis « était » ? Il est toujours vivant.
— Possible, mais il aura du mal à recommencer ce qu'il a essayé de me faire avec ce qu'il reste de sa virilité. »

Leon ne put contenir un demi-sourire. Dans certaines prisons, les abus sexuels et les humiliations de la part des matons étaient la norme. Il était bien placé pour le savoir, lui-même n'était pas exactement un saint. Bien sûr, il existait des lois pour protéger les prisonniers civils, mais sur des mondes tels que White Hell, la loi était ce que l'on en faisait.

« Donc, ta version, c'est que ce mec a essayé de te violer.
— Oui.
— Et les autres prisonniers ? Tu en as envoyé cinq à l'hôpital. Pour la même raison ?
— Non. Ils se montraient belliqueux, violents. Je leur ai montré que sur ce plan-là, j'étais pire qu'eux, pour avoir la paix. Vous savez comment ça marche. Je me suis défendue, puis on m'a transférée ici.»

Léon savait. Les pénitenciers étaient autant de microcosmes à l'équilibre instable. En l'absence de drogue dans la nourriture, il était quasiment impossible d'éviter les prises de bec entre détenus. Derrière les barreaux, une hiérarchie finissait toujours par s'instaurer. Les plus forts régnaient, les plus faibles survivaient. Les matons laissaient souvent faire, jusqu'à un certain point. 
 Pas à dire, la petite avait du cran, et du charisme. 

« Tu as été incarcérée pour un simple vol. Tu n'as pas de formation militaire, tu n'as jamais été fichée avant ça pour violence. Où est-ce que tu as appris à te « défendre » ? Aux cours du soir ? Tu leur as mis une putain de branlée...»

Léon avait sous les yeux le descriptif des blessures subies par le maton et les codétenus. Fractures et membres démis, poumons perforés, yeux crevés. Ce n'était pas l'oeuvre d'une jeune femme se défendant contre une banale agression. Elle les avait massacrés. Daisy tenta de le rassurer :

« Si cela vous inquiète, je doute que la même chose se produise ici. Mes voisins sont bien trop occupés à roupiller et à chialer contre leur coin de mur. Vous les shootez à quoi au juste ?
— Tu ne réponds pas à ma question.
— Un de mes ex m'a appris à me défendre. C'est aussi pour lui que je me suis fait teindre les cheveux. On faisait partie d'un gang. »

Décidément, quelque chose ne cadrait pas. Elle était trop calme, trop polie. Clairement, le cocktail zéro ne l'affectait pas le moins du monde, ce qui justifiait par ailleurs cet examen médical. Et Léon, s'il n'en laissait rien paraître, tombait sous le charme de cette beauté vénéneuse. Anne Hilidus, sa précédente amante, une détenue condamnée à la perpétuité, avait la même expression, dure et impénétrable, lorsqu'elle parlait de son ex-mari qu'elle avait débité en tranches dans sa cuisine. Anne n'avait jamais regretté ses actes. Sa motivation était la plus vieille du monde : la trahison d'un amour profond. Elle avait tué de sang-froid. 

Léon fréquentait la lie de la galaxie depuis des années : assassins, violeurs, barbares... Pas étonnant au fond qu'il soit attiré par des beautés homicides. Daisy sortait assurément du lot. Son dossier mentionnait qu'elle avait grandi dans une bonne famille, sur une planète semi-civilisée. Pas le genre de milieu qui produisait des gamines tueuses. 

Le dossier de Daisy était peut-être bidon. Cela s'était déjà vu pour certains prisonniers politiques. Conscient qu'interdire l'accès au dossier d'un criminel était la meilleure façon d'attirer l'attention des hackers et autres cybercriminels, le gouvernement falsifiait parfois des noms, des lieux, des faits. Essayer d'en savoir plus dans ce cas-là était foutrement déconseillé. Léon hocha la tête.

« Ok... On va en rester là pour aujourd'hui. Tu retournes en cellule, et tu fais chier personne. Sinon tu auras affaire à moi. T'as pas l'air de vouloir te la jouer, tu es restée bien calme, alors continue comme ça, et je te foutrai la paix. »

Daisy se releva.

« Aucun problème, chef. Est-il possible d'avoir des archi ou même des livres dans cette prison ? »

Léon rit.

« Et en plus elle lit. On n'a pas de forêts ici, et donc pas de livres.
— Yann a deux trois bouquins dans sa chambre » intervint Lonnie, l'un des deux matons escortant Daisy.

« Ta gueule, Lonnie. » répondit Léon sans quitter la prisonnière des yeux et sans cesser de sourire. « Écoute, cocotte. Si je t'ai semblé sympa, ne vas pas t'imaginer que ça te donne droit à un quelconque privilège. Tout ce que tu auras à lire, c'est le bulletin du jour qui s'affiche sur le mur de ta chambrette chaque matin. Je me fous de ton histoire, je me fous de qui tu étais au-dehors.  »

En prononçant ces derniers mots, il savait pertinemment qu'ils étaient faux. La gamine lui plaisait, et il finirait bien par l'avoir, comme il avait fini par avoir Anne Hilidus. Mais devant les autres matons, il devait sauver les apparences. Il irait lui rendre visite plus tard avec un ou deux archis, peut-être même avec un des bouquins de Yann et les négociations pourraient commencer. Une passe pour un livre. Daisy était dangereuse, jolie à regarder et bloquée sur White Hell, comme lui. Elle y viendrait. Mieux encore, les drogues ne l'avaient pas abattue physiquement. Cela changerait Léon des prisonnières amorphes qu'il s'envoyait parfois dans la réserve contre un paquet de clopes ou une promenade un peu plus longue. Entre ces murs, le sexe était une monnaie d'échange comme une autre. Un peu de plaisir contre un peu de confort, la règle était simple.

« Nous nous sommes mal compris. » objecta la prisonnière avec ce calme que Léon commençait à détester au niveau professionnel, tout en l'appréciant sur un plan plus personnel. « Ce n'est pas pour moi que je souhaite ce livre. C'est pour vous. » 

Léon tiqua et se leva. Il saisit le menton de Daisy dans sa main. Lonnie et Maro, les deux matons, sortirent leur matraques électriques. Jay, le toubib, leva un regard vers le groupe, et se contenta de dire :

« Gaffe au matos, les gars. »

Manifestement, ce n'était pas la première fois que la température montait dans l'infirmerie.

« Alors comme ça Daisy, tu veux que je lise un livre. » gronda Léon. « Tu me prends pour un abruti, c'est ça ? Tu me traites d'inculte ? Fais gaffe à ce que tu vas dire, petite fille, fais vraiment gaffe. »

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