Léon remarqua tout de suite
la prisonnière aux cheveux bicolores. Il n'avait aucun mérite :
son feuillet optique clignotait en jaune, ce qui signifiait que la
détenue méritait une attention particulière. Il posa les autres
feuillets sur la table, pour mieux étudier le dossier à son aise.
Sous les yeux du chef maton, le casier de l'inconnue défila en
petits caractères.
Elle s'appelait Daisy T.
Hallorahn. Vingt-cinq ans. Sur la photo accompagnant le dossier, elle
affichait une expression parfaitement neutre, son visage quelconque
aux yeux gris noyé dans une masse ébouriffée de cheveux blancs et
noirs, divisée par une raie qu'elle portait à droite. Condamnée
à quelques mois pour vol dans une prison standard, la peine s'était
alourdie suite à de multiples voies de fait envers certains
prisonniers. Lorsque la prisonnière s'en était prise à un maton,
on l'avait transférée ici. Daisy purgeait désormais une peine de
dix ans de prison.
Léon fronça les sourcils.
Ce n'était pas commun. Une petite voleuse qui devient la terreur de
la prison de son monde natal au point d'être transférée sur
un trou comme White Hell ?
L'interlink sonna.
« Oui Yann... dit
Léon, activant la communication. Qu'est-ce qui se passe ? »
Yann était son second, le
plus compétent après lui dans cette prison. Sur White Hell, il n'y
avait pas de petits génies. Yann savait compter, lire, et réfléchir,
si on lui en laissait l'occasion. Ce n'était pas indispensable, mais
cela lui valait d'être le responsable de l'intendance.
« Léon... Y a un
problème avec une des nouvelles. Celle aux cheveux blancs et noirs,
la fiche jaune... » L'intendant parlait d'une voix traînante
qui évoquait les réveils brusques et les nuits courtes. Après
quelques mois, la narcolepsie était un mal qui frappait plus de la
moitié du personnel pénitentiaire sur White Hell. Le manque
d'action, d'exercice, de soleil, le confinement, ainsi que la
malbouffe transformaient le plus énergique des hommes en un
mollusque invertébré rivé à son siège de contrôle.
« Je t'écoute, Yann,
reprit Léon. J'étais sur son dossier justement. Qu'est-ce qu'elle
fabrique, la nouvelle ?
— Rien qui ne justifie
une sanction, mais c'est bizarre tout de même.
— Et bien ?
— Elle fait du sport...
— Ah ouais ? Fais voir... »
L'écran intégré au
bureau de Léon s'illumina, affichant une image en haute définition.
La caméra collée au plafond surveillait le moindre mètre carré
de la cellule. L'intimité des prisonniers était un concept très
relatif sur White Hell.
Léon reconnut Daisy sans
problème. Ses cheveux avaient subi une coupe carcérale, mais ils
étaient toujours bicolores, ce qui indiquait que la jeune femme
avait subi une altération plastique génétique, plutôt qu'une
simple teinture.
La prisonnière s'activait
dans son petit box, multipliant les pompes, les abdominaux, et autres
exercices barbares que peu de gens s'astreignaient à suivre sur les
mondes civilisés. Léon zooma sur le visage luisant de sueur, puis
demanda à Yann :
« Elle a eu sa
dose de cocktail zéro?
— Ouais, évidemment.
Elle a peut-être développé une accoutumance dans son ancienne
tôle ?
— J'ai rien vu dans son
dossier médical qui parle d'une tolérance ou d'une accoutumance
aux neutralisants.
— C'est bizarre, non ? »
Bien sûr, cela l'était.
Tous les prisonniers, sans exception, étaient camés jusqu'à la
moelle. Chaque jour, leur nourriture était assaisonnée aux
tranquillisants et aux anxiolytiques. Dans la majeure partie des cas,
leur agressivité était alors ramenée à zéro, ce qui justifiait
le nom de ce mélange : le cocktail zéro. Cette mesure, peu
appréciée du grand public, était la norme sur les mondes
pénitentiaires tels que White Hell. La prison où travaillait Léon
comptait un peu moins de cinquante matons pour plus de huit mille
prisonniers. Même si des robots prenaient en charge la plus grande
partie de la maintenance et de la surveillance des lieux, il
importait de transformer la population carcérale en troupeau de
moutons dociles et incapables de se rebeller.
Avec le cocktail zéro, les
prisonniers ne faisaient que deux choses de leur journées : Ils
dormaient et tournaient en rond, dans leur cellule ou dans la zone de
promenade, apathiques. Tueurs, violeurs, et autres terroristes
réduits à une bande de marshmallows dénués de la moindre velléité
de fuite ou de rébellion. Une prison potagère emplie de légumes :
l'image faisait sourire Léon. Tout était sous contrôle, comme
disait la chanson.
Léon zooma sur la poitrine
de la jeune femme, puis glissa le long de son estomac, de ses jambes.
Un joli morceau. Le sport la maintenait en forme, elle n'avait pas un
poil de graisse. Il lui arrivait de temps en temps de reluquer ses
prisonnières dans l'intimité de leurs cellules, à des fins peu
avouables. Bien sûr, ce comportement sordide l'avait déjà mis dans
la merde, c'était d'ailleurs ce qui l'avait amené tout droit sur
White Hell. Léon s'en foutait. Il n'attendait plus rien de bon de ce
job, il profitait donc de la moindre opportunité pour satisfaire ses
pulsions voyeuristes, à l'abri dans son bureau.
« Qu'est-ce qu'on
fait ? » demanda Yann d'une voix ensommeillée.
« Laisse tomber,
lâcha Léon. Elle vient d'une prison civile, leurs médocs ne sont
peut-être pas aussi puissants que les nôtres. Dans quelques jours
elle fera comme tous les autres... Elle pioncera. »
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