« Placez votre bras
dans le manchon.... » ordonna le toubib en désignant une gaine
d'examen. Daisy Hallorahn, la prisonnière qui avait tant intrigué
Leon et son collègue, glissa son avant-bras dénudé dans un
dispositif d'examen médical. Elle sentit une horde de palpeurs et de
minuscules aiguilles se plaquer contre sa chair. La machine ronfla
légèrement, aspirant tout à la fois du sang, des échantillons de
sueur, de poil et de peau.
« Vous pouvez
retirer votre bras... » fit le toubib après quelques secondes.
Daisy s’exécuta. Aussitôt, l'un des deux matons posté derrière
elle lui passa les menottes. Elle ne protesta pas.
Léon, assis dans un
siège en face de la jeune femme, la contemplait en silence. Il tenait dans sa main le feuillet optique de la prisonnière. Le
médecin du pénitencier se pencha sur l'interface du manchon
médical, analysant les données transmises par la machine. L'infirmerie du pénitencier était sommairement équipée, et le multiscan n'était plus de prime jeunesse.
« Tu ne me
demandes pas pourquoi nous t'avons amenée ici ? »
s'étonna Léon après quelques instants. La prisonnière leva sur
lui ses yeux gris et répondit :
« C'est vous le
patron. Et moi la prisonnière. Vous ordonnez, j'obéis. »
Aucune ironie dans le
ton. Léon acquiesça.
« Une bonne
réponse, ça... Pourtant, d'après ton dossier, tu t'en es prise à
un maton dans ton ancien centre de détention. Tu as quelque chose à
me dire à ce sujet ? »
Daisy s'adossa à son
siège avant de lâcher :
« Ce type était
une ordure. Il méritait son sort.
— Pourquoi tu dis
« était » ? Il est toujours vivant.
— Possible, mais il
aura du mal à recommencer ce qu'il a essayé de me faire avec ce
qu'il reste de sa virilité. »
Leon ne put contenir un
demi-sourire. Dans certaines prisons, les abus sexuels et les
humiliations de la part des matons étaient la norme. Il était bien
placé pour le savoir, lui-même n'était pas exactement un saint.
Bien sûr, il existait des lois pour protéger les prisonniers
civils, mais sur des mondes tels que White Hell, la loi était ce que
l'on en faisait.
« Donc, ta
version, c'est que ce mec a essayé de te violer.
— Oui.
— Et les autres
prisonniers ? Tu en as envoyé cinq à l'hôpital. Pour la même
raison ?
— Non. Ils se
montraient belliqueux, violents. Je leur ai montré que sur ce
plan-là, j'étais pire qu'eux, pour avoir la paix. Vous savez
comment ça marche. Je me suis défendue, puis on m'a transférée
ici.»
Léon savait. Les
pénitenciers étaient autant de microcosmes à l'équilibre
instable. En l'absence de drogue dans la nourriture, il était
quasiment impossible d'éviter les prises de bec entre détenus.
Derrière les barreaux, une hiérarchie finissait toujours par
s'instaurer. Les plus forts régnaient, les plus faibles survivaient.
Les matons laissaient souvent faire, jusqu'à un certain point.
Pas à dire, la petite
avait du cran, et du charisme.
« Tu as été
incarcérée pour un simple vol. Tu n'as pas de formation militaire,
tu n'as jamais été fichée avant ça pour violence. Où est-ce que
tu as appris à te « défendre » ? Aux cours du
soir ? Tu leur as mis une putain de branlée...»
Léon avait sous les
yeux le descriptif des blessures subies par le maton et les
codétenus. Fractures et membres démis, poumons perforés, yeux
crevés. Ce n'était pas l'oeuvre d'une jeune femme se défendant
contre une banale agression. Elle les avait massacrés. Daisy tenta
de le rassurer :
« Si cela vous
inquiète, je doute que la même chose se produise ici. Mes voisins
sont bien trop occupés à roupiller et à chialer contre leur coin
de mur. Vous les shootez à quoi au juste ?
— Tu ne réponds pas à
ma question.
— Un de mes ex m'a
appris à me défendre. C'est aussi pour lui que je me suis fait
teindre les cheveux. On faisait partie d'un gang. »
Décidément, quelque
chose ne cadrait pas. Elle était trop calme, trop polie. Clairement,
le cocktail zéro ne l'affectait pas le moins du monde, ce qui
justifiait par ailleurs cet examen médical. Et Léon, s'il n'en
laissait rien paraître, tombait sous le charme de cette beauté
vénéneuse. Anne Hilidus, sa précédente amante, une détenue
condamnée à la perpétuité, avait la même expression, dure et
impénétrable, lorsqu'elle parlait de son ex-mari qu'elle avait
débité en tranches dans sa cuisine. Anne n'avait jamais regretté
ses actes. Sa motivation était la plus vieille du monde : la
trahison d'un amour profond. Elle avait tué de sang-froid.
Léon fréquentait la
lie de la galaxie depuis des années : assassins, violeurs,
barbares... Pas étonnant au fond qu'il soit attiré par des beautés
homicides. Daisy sortait assurément du lot. Son dossier mentionnait
qu'elle avait grandi dans une bonne famille, sur une planète
semi-civilisée. Pas le genre de milieu qui produisait des gamines
tueuses.
Le dossier de Daisy
était peut-être bidon. Cela s'était déjà vu pour certains
prisonniers politiques. Conscient qu'interdire l'accès au dossier
d'un criminel était la meilleure façon d'attirer l'attention des
hackers et autres cybercriminels, le gouvernement falsifiait parfois
des noms, des lieux, des faits. Essayer d'en savoir plus dans ce
cas-là était foutrement déconseillé. Léon hocha la tête.
« Ok... On va en
rester là pour aujourd'hui. Tu retournes en cellule, et tu fais
chier personne. Sinon tu auras affaire à moi. T'as pas l'air de
vouloir te la jouer, tu es restée bien calme, alors continue comme
ça, et je te foutrai la paix. »
Daisy se releva.
« Aucun problème,
chef. Est-il possible d'avoir des archi ou même des livres dans cette prison ? »
Léon rit.
« Et en plus elle
lit. On n'a pas de forêts ici, et donc pas de livres.
— Yann a deux trois
bouquins dans sa chambre » intervint Lonnie, l'un des deux
matons escortant Daisy.
« Ta gueule,
Lonnie. » répondit Léon sans quitter la prisonnière des yeux
et sans cesser de sourire. « Écoute, cocotte. Si je t'ai
semblé sympa, ne vas pas t'imaginer que ça te donne droit à un
quelconque privilège. Tout ce que tu auras à lire, c'est le
bulletin du jour qui s'affiche sur le mur de ta chambrette chaque matin.
Je me fous de ton histoire, je me fous de qui tu étais au-dehors. »
En prononçant ces
derniers mots, il savait pertinemment qu'ils étaient faux. La gamine
lui plaisait, et il finirait bien par l'avoir, comme il avait fini
par avoir Anne Hilidus. Mais devant les autres matons, il devait
sauver les apparences. Il irait lui rendre visite plus tard avec un
ou deux archis, peut-être même avec un des bouquins de Yann et les
négociations pourraient commencer. Une passe pour un livre. Daisy
était dangereuse, jolie à regarder et bloquée sur White Hell,
comme lui. Elle y viendrait. Mieux encore, les drogues ne l'avaient
pas abattue physiquement. Cela changerait Léon des prisonnières
amorphes qu'il s'envoyait parfois dans la réserve contre un paquet
de clopes ou une promenade un peu plus longue. Entre ces murs, le
sexe était une monnaie d'échange comme une autre. Un peu de plaisir
contre un peu de confort, la règle était simple.
« Nous nous sommes
mal compris. » objecta la prisonnière avec ce calme que Léon
commençait à détester au niveau professionnel, tout en
l'appréciant sur un plan plus personnel. « Ce n'est pas pour
moi que je souhaite ce livre. C'est pour vous. »
Léon tiqua et se leva.
Il saisit le menton de Daisy dans sa main. Lonnie et Maro, les deux
matons, sortirent leur matraques électriques. Jay, le toubib, leva
un regard vers le groupe, et se contenta de dire :
« Gaffe au matos,
les gars. »
Manifestement, ce
n'était pas la première fois que la température montait dans
l'infirmerie.
« Alors comme ça
Daisy, tu veux que je lise un livre. » gronda Léon. « Tu
me prends pour un abruti, c'est ça ? Tu me traites
d'inculte ? Fais gaffe à ce que tu vas dire, petite fille,
fais vraiment gaffe. »
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